Celles et le lac du Salagou : histoire d’un village englouti par la modernité

06/10/2025

Aux origines du Salagou : comprendre la naissance d’un lac artificiel

Le Salagou est aujourd'hui synonyme de paysages étonnants, d’ocres et d’azurs qui impressionnent visiteurs et photographes. Pourtant, derrière ce décor spectaculaire se cache une histoire faite de bouleversements. Avant de s’étendre sur près de 700 hectares, le lac du Salagou n’existait tout simplement pas. Les vallées étaient alors habitées, cultivées et traversées de petites routes menant aux villages tels que Celles, Liausson ou Octon.

La décision de créer un réservoir d’eau dans la vallée du Salagou a été prise dans les années 1950 et 1960. À cette époque, l’Hérault, marqué par des sécheresses récurrentes et une agriculture en crise, cherchait des solutions d'irrigation. Le projet, piloté par le Conseil général de l’Hérault, prévoyait la construction d’un barrage sur la rivière Salagou, retenant l’eau sur plusieurs kilomètres. Il s’agissait avant tout de garantir une ressource sèche à l'ouest du département, tout en développant une nouvelle vocation touristique (Source : DREAL Occitanie; Wikipedia - Lac du Salagou).

  • Début des travaux : 1964
  • Barrage terminé : 1968
  • Superficie du plan d’eau : environ 700 hectares
  • Longueur du barrage : 357 mètres
  • Village de Celles situé à environ 144 mètres d’altitude

L’abandon programmé : entre nécessité collective et destin individuel

Celles se trouvait, sur les cartes d’ingénieurs, au cœur de la future zone inondée. Lors de la conception, une cote maximale du barrage à 150 mètres fut définie. Sa proximité immédiate avec cette limite fit du village une victime indirecte du projet, mais l’incertitude sur l’ampleur réelle de la submersion a plongé les habitants dans une longue attente.

Dans les années 1960, au fil de l’avancement des travaux et face aux études prévisionnelles, la préfecture décréta l’évacuation progressive de Celles. Les maisons furent désaffectées, propriétés et champs expropriés, écoles et commerces fermés. Entre 1965 et 1969, la quasi-totalité des 80 habitants dut quitter leur village — souvent sans certitude sur la possibilité d’un retour ou d’une compensation adéquate.

Trois raisons principales à l'abandon

  1. La crainte de l’inondation : Les marges d’erreur techniques pouvaient entraîner la submersion totale ou partielle du bourg en cas de crues ou de hausse du niveau du lac.
  2. L’insalubrité prédite : Les habitations, en zone humide permanente, auraient connu un vieillissement rapide des structures, rendant la vie impossible sur le long terme.
  3. Les programmes d’expropriation : Par sécurité, l’État préféra exproprier en anticipant le pire, actant la disparition du village comme une nécessité immédiate.

Pourtant, une donnée est venue bouleverser ce scénario : à la mise en eau, il s’avéra que la cote réelle du lac ne dépasserait jamais 139 mètres, laissant Celles juste au-dessus, hors d’eau mais totalement dépourvue de vie. Ironie du destin : le village fut épargné par les eaux, mais pas par l’abandon administratif.

Celles après l’exil : nature, délabrement et renaissance partielle

Dans les années qui suivirent, Celles devint un village fantôme. Les façades ont résisté, tout comme l’église, l’école et la mairie – témoins silencieux de cette évacuation forcée. Point de vie, sinon quelques occupants illégaux et d’occasionnels promeneurs subjugués par l’atmosphère de bout du monde.

Le patrimoine architectural, typique des villages ruraux du Languedoc, a été figé dans le temps. Les toitures s’effondraient, les volets claquaient au vent, les grilles rouillaient. Quelques chiffres témoignent de l’ampleur de l’abandon :

  • Plus de 40 maisons totalement évacuées en trois ans.
  • Une école, un café et deux commerces fermés définitivement.
  • Un cheptel d’environ 400 ovins transféré sur d’autres communes (source : ANEM - Association Nationale des Elus de Montagne).

Paradoxalement, la dynamique du lac entraîna un engouement touristique croissant dès la fin des années 1970. Randonneurs, pêcheurs, photographes et naturalistes furent touchés par ce mélange rare de nature exubérante, de ruines et d’eau rouge ocre, typique des ruffes du Salagou.

La vie entre souvenirs et résilience : Celles aujourd’hui

Si la plupart des villages engloutis en France sont invisibles, Celles reste singulier : il n’a jamais disparu sous les flots. Depuis les années 1990, son sort fascine et interroge. De nombreux projets de “renaissance” ont vu le jour, portés aussi bien par d’anciens habitants que par des collectivités locales ou des associations patrimoniales.

  • 1996 : Les ruines sont sécurisées afin d’éviter toute intrusion dangereuse.
  • Années 2000 : Premières restaurations engagées sur la mairie et l’église.
  • 2017 : Altitude du niveau du lac officiellement maintenue en deçà du seuil d’inondation du village, confirmant son sauvetage improbable (Midi Libre).
  • 2021 : De nouveaux habitants s’installent, une étape vers la requalification du village en lieu d’accueil culturel et écologique.

Des initiatives fleurissent : festival de musique, visites guidées, chantiers de bénévoles… Celles devient petit à petit le symbole d’un territoire capable de se réinventer après avoir frôlé la disparition totale. Le village attire autant les passionnés d’histoire rurale, les urbanistes en quête d’exemples de résilience, que les amoureux de paysages bruts et silencieux.

Celles, un cas rare en France : comparaisons et héritages

De nombreux villages ont été engloutis ou abandonnés lors de la construction de grands lacs artificiels : Serre-Ponçon, Tignes, Chambon… Mais le cas de Celles étonne les chercheurs (notamment ceux du laboratoire Géode de Toulouse) par sa spécificité :

  • Il n’a jamais été totalement submergé
  • Il n’a jamais été reconstruit ailleurs
  • Son identité et sa toponymie sont restées vivantes grâce aux anciens et à l’action de la commune d’Octon
  • Il fait désormais l’objet d’une politique de réhabilitation pensée pour concilier activités humaines, tourisme doux et préservation du site
Village abandonné Projet hydraulique Degré de submersion Statut actuel
Celles (Hérault) Lac du Salagou Non submergé En reconstruction
Tignes (Savoie) Barrage de Tignes Totalement submergé Nouveau village construit plus haut
Ubaye (Hautes-Alpes) Lac de Serre-Ponçon Submergé Vestiges visibles lors de basses eaux

Celles, sentinelle du Salagou

L’abandon de Celles illustre les choix déchirants qui accompagnent le progrès : comment décider de sacrifier un village pour répondre à des enjeux collectifs ? Plus de cinquante ans après, la situation paradoxale de Celles, à la fois abandonné mais sauvé des eaux, questionne notre façon de gérer le territoire, la mémoire et les paysages.

Aujourd’hui, le village renaît lentement, porté par la mémoire des anciens, l’envie de partage de ses habitants et l’intérêt toujours vif des visiteurs. Celles démontre que le dialogue entre nature, patrimoine et société reste possible : il suffit parfois d’écouter ce qui palpite en silence entre les murs, au bord du Salagou.

Pour approfondir l’histoire de Celles et du Salagou, plusieurs ressources sont recommandées : les archives du Conseil départemental de l’Hérault, les publications de l’INRAE sur l’aménagement rural (inrae.fr), ou encore les documentaires produits par France 3 Occitanie.

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