De la Saint-Jean aux vendanges : mémoire des fêtes et célébrations qui animaient jadis Celles

06/09/2025

Le calendrier festif de Celles : repères religieux et cycles agricoles

Comme dans la plupart des villages languedociens, le calendrier des fêtes de Celles était étroitement lié à l’Église et aux saisons. Jusqu’au départ forcé des années 1960, l’organisation sociale et le rythme de la vie quotidienne tournaient autour de célébrations fixées par la religion, mariées aux moments incontournables du monde paysan.

  • Fêtes patronales : la Saint-Blaise, patron du village, fêtée le 3 février, réunissait tout Celles pour des messes, processions et repas collectifs. Les archives de la paroisse attestent de son importance dès le XVIII siècle.
  • Saint-Jean et les feux de la Saint-Jean (24 juin) : rite solaire servant à exorciser les peurs, marquer le solstice d’été et souder la collectivité. Les jeunes se retrouvaient pour allumer un feu sur les hauteurs, dans une ambiance joyeuse et mystérieuse. (source : Région Occitanie)
  • Fête-Dieu : processions colorées à travers le village, souvent ornées d’autels fleuris par chaque famille, suivies de réjouissances et banquets où les générations se mêlaient.
  • Carnaval : plus simple qu’à Lodève, mais décorant tout de même les rues et permettant aux enfants de se déguiser, d’entonner des comptines en occitan et de quémander bonbons ou œufs frais aux portes des maisons.
  • Vendanges et fêtes agricoles : point d’orgue de l’année rurale, l’automne était salué par un repas festif après la cueillette, prétexte à chansons, jeux et bals improvisés dans la cour de l’école ou sur la placette centrale.

La fête patronale de la Saint-Blaise : cœur battant du village

Au cœur de l’hiver, alors que la campagne dormait, la Saint-Blaise réveillait Celles. Patron des maladies de gorge et protecteur des troupeaux, il était prié par tous, vignerons comme bergers. Dès le petit matin, les cloches sonnaient pour la messe solennelle, suivie d’une procession qui traversait les ruelles jusqu’au lac, en souvenir d’une chapelle détruite.

Chaque famille apportait son offrande : pain béni, bouquets de blé ou de thym, animaux symboliques. La journée se poursuivait autour d’une grande table partagée, où la soupe, les cèpes séchés et, selon la saison, un agneau cuit lentement, marquaient l’attachement aux racines et à la terre.

  • La légende locale voulait que celui qui ratait la messe de Saint-Blaise s’attirait un hiver difficile – la peur de la maladie soudait le village autour de cette tradition.
  • Des témoignages recueillis par l’association Mémoire du Salagou évoquent des veillées où l’on récitait contes et chansons en occitan, langue alors majoritaire sur la place publique.

Saint-Jean : les flammes de la jeunesse et la transmission

La Saint-Jean, au solstice, offrait une scène presque magique. Les plus anciens choisissaient l’emplacement du feu, sur un promontoire, alors accessible au-dessus des vignes. Garçons et filles, parés de costumes traditionnels ou simplement d’un foulard rouge, dansaient autour du brasier, se défiant parfois de le franchir pour prouver leur bravoure.

Un vieux dicton local disait : « Qui saute le feu gardera santé et amitié pour l’année. » Cette nuit en suspens était l’occasion de sceller des promesses, de partager le vin nouveau et, pour certains, de déclarer leur flamme… En 1952, un habitant de Celles racontait que près de 70 personnes participaient chaque année, un chiffre remarquable pour un village qui ne comptait alors guère plus d’une centaine d’âmes (source : archives départementales de l’Hérault).

Rituel du rameau et protection des maisons

Le lendemain, les cendres du feu étaient dispersées dans les champs, ou déposées devant la porte des maisons pour protéger des orages et bénir les récoltes. L’arrosage des passants, symbole de purification, clôturait la fête dans les éclats de rire.

Carnaval et Carême : mémoire du rire et des privations

Le Carnaval, souvent modeste mais animé, précédait une période de rigueur religieuse : le Carême. Les enfants, masqués parfois d’un bout de drap ou coiffés de chapeaux fabriqués à la hâte, faisaient le tour des fermes à la recherche de friandises ou d’œufs pour la fameuse omelette collective.

Les chansons populaires, le « carnavalet » (mannequin brûlé à l’issue du cortège) et les farces des jeunes rythmaient la journée. Mais à minuit, à l’entrée du Carême, musique et liesse s’arrêtaient, marquant le retour à la sobriété.

  • On disait, à Celles, que le carnaval était « la dernière explosion de couleurs avant le silence de la terre ».

Vendanges, blés et fêtes rurales : la force des retrouvailles saisonnières

Si la religion structura l’année, la vigne, les moissons et les récoltes l’animaient de fêtes plus informelles. À Celles, les vendanges n’étaient pas qu’un travail, mais un rendez-vous de solidarité. Une semaine durant, les familles du village s’entraidaient de vigne en vigne, concluant l’effort par un festin aux airs de bal musette.

Quelques traditions des campagnes du Salagou :

  • Concours improvisés de piquage ou de port de paniers
  • Bain nocturne dans la rivière après la dernière hotte
  • Remise du « grain de l’amitié »: une poignée de raisins offerte en gage de fraternité

La fête des moissons réunissait petits et grands pour un repas dans les champs, souvent ponctué de danses occitanes et de jeux d’adresse.

La musique, la danse et le bal : une culture du collectif

Le bal était le pouls joyeux du village. Qu’il soit organisé pour la fête patronale ou pour clore une saison, il rassemblait toutes les générations. Accordéon, tambourin, parfois vieille guitare – on dansait la bourrée, la « fandango », ou la polka sous les lampions fabriqués à partir de bocaux. Les plus anciens se souviennent encore de longues veillées sous la treille, à en oublier l’heure du lendemain.

  • En 1955, la commune autorise l’achat collectif d’un tourne-disque pour moderniser les bals et attirer la jeunesse (source : mairie de Celles, registre des délibérations).
  • Les bals étaient aussi l’occasion d’initier les enfants aux pas traditionnels et de transmettre les chansons locales.

Les processions et la place de l’Église : quand le sacré tutoie la vie quotidienne

L’Église, véritable point d’ancrage du village, orchestrait non seulement les cérémonies religieuses, mais aussi les processions. La Fête-Dieu (Corpus Christi) donnait lieu à des cortèges éclatants de couleurs, les rues tapissées de pétales ou de feuilles de laurier. Chaque famille avait à cœur d’honorer son « reposoir » (petit autel fleuri), s’émulant d’année en année pour offrir le plus bel écrin à la procession.

Les cloches rythmaient alors la vie comme un métronome. Ainsi, l’arrivée de la pluie après une procession était interprétée comme un signe de bénédiction pour la campagne.

Fêtes familiales et solidarité : mariages, baptêmes, et entraide

Au-delà des grandes fêtes, le village célébrait la vie à travers les mariages et baptêmes, souvent des événements majeurs dans un quotidien plutôt rude. Un mariage moyen, dans les années 1930, rassemblait toute la population (on dénombrait parfois 100 invités sur 120 habitants), en témoignent les registres d’état civil (source : Archives municipales de Celles).

La coutume voulait qu’on offre au couple un « communion » collectif : un grand plat de grillades, du pain maison, arrosé du meilleur vin disponible. Ce genre de rassemblement permettait de renforcer l’entraide et la solidarité qui étaient, avec la fête, les ciments de la communauté.

Évolution, disparition puis mémoire : ce qu’il reste aujourd’hui

Le grand exil du milieu du XX siècle, décidé lors du projet de mise en eau du lac du Salagou, a bouleversé ces traditions. Peu à peu, la vie festive a laissé place au silence. Pourtant, certaines familles revenues, ou les visiteurs attachés à l’âme de Celles, perpétuent des gestes hérités : un feu de la Saint-Jean discret, un apéritif sous le tilleul du village… La mémoire des anciens, portée par l’association Mémoire du Salagou ou les travaux des historiens locaux, est précieuse pour conserver ces fragments de joie partagée.

C’est dans ces petites habitudes, ces rituels parfois informels – réunir voisins pour les vendanges, fleurir l’autel de la Saint-Blaise, partager un repas devant la mairie – que réside l’écho vibrant de l’ancien Celles, village où la fête était d’abord l’art de vivre ensemble, au fil des saisons et des amitiés.

Sources principales
  • Archives départementales de l’Hérault
  • Association Mémoire du Salagou
  • Recueils d’ethnographie du Parc Naturel Régional du Haut-Languedoc
  • Région Occitanie - Dossier patrimoine et fêtes traditionnelles

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