Celles, entre liens et renaissances : les initiatives à l’origine d’un village retrouvé

14/10/2025

L’histoire suspendue de Celles : des années d’attente, entre lac et silence

Celles, village de l’Hérault perché sur les rives rouges du lac du Salagou, est une terre de paradoxes et de résilience. Dans les années 1960, la création du barrage sur le Salagou condamna le village à la submersion. Le plan d’eau engloutit les terres agricoles et charriant avec lui la promesse d’un renouveau économique. Pourtant, à Celles, la vie s’est arrêtée sans que les maisons ne soient englouties : elles ont survécu, vides, offertes aux vents et aux souvenirs.

À l’été 1969, l’évacuation fut complète. Les 84 habitants de Celles quittèrent leur village, sur ordre administratif. Mais l’eau s’arrêta, contre toute attente, plusieurs mètres en contrebas du bourg. Là où tant d’autres villages furent rayés du paysage, Celles devint un paradoxe : un « village mort-vivant », figé, mais jamais oublié (Midi Libre).

La sauvegarde : avant tout un combat d’habitants

Dés 1972, dès que le danger d’immersion totale du village s’éloigne, les premières voix résonnent pour défendre Celles. D’anciens habitants et amoureux du site refusent de laisser mourir le village. C’est le temps des toutes premières initiatives spontanées :

  • Gardiennage bénévole : Régulièrement, des anciens viennent entretenir les maisons, boucher les trous dans les toits, réparer les menuiseries, éviter la ruine totale.
  • Manifestations festives : Chaque année, les « renvoyés » du village, familles et descendants, se retrouvent pour le 14 août, la fête votive, renouant les liens d’une communauté dispersée.
  • Premiers projets associatifs : Création, en 1978, de l’Association « Celles Renaissance », qui milite déjà pour un projet de village témoin et de valorisation patrimoniale.

Ces combats locaux, longtemps confidentiels, permettent de faire entendre la spécificité de Celles auprès du Conseil Général puis de l’État, d’éviter en particulier la démolition totale alors envisagée dans les années 1980.

Un patrimoine entretenu contre vents et marées

Au-delà du symbole, Celles est sauvé par ses pierres, maintenues debout parfois de façon précaire. Les efforts populaires se conjuguent avec des engagements associatifs, portés notamment par :

  • L’Association « Celles Patrimoine », qui multiplie les chantiers de sauvegarde, recensant les ruines, sécurisant les accès.
  • La participation de bénévoles extérieurs : Étudiants en architecture de Montpellier et de Toulouse, artisans locaux, qui proposent dès les années 1990 des ateliers d’éducation patrimoniale et de premiers diagnostics.
  • Inventaire du bâti : Grâce à un inventaire précis mené entre 2001 et 2002 par la Direction Régionale des Affaires Culturelles (DRAC), les éléments majeurs du patrimoine bâti sont identifiés, posant les bases d’une restauration coordonnée (DRAC Occitanie).

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : sur les 50 maisons repérées avant-guerre, 29 restent structurellement récupérables au début des années 2000 (France 3 Occitanie).

Celles, projet-pilote et laboratoire de ruralité

À partir de 2010, le village attire l’attention nationale comme modèle de renaissance rurale raisonnée. C’est la commune elle-même, revenue à la vie administrative depuis 1990 (bien que sans habitant permanent) qui devient le moteur porteur :

  1. Le plan de revitalisation : Initié en 2012, il vise la réinstallation de familles, la création de logements sociaux, et la mise en valeur des espaces publics. Ce plan veut faire de Celles un village habité, mais durable, sans sacrifier son âme. Trois points sont essentiels :
    • Limiter le nombre de logements : le projet prévoit 22 habitations (capacité maximale fixée pour préserver les ressources et garantir la cohérence paysagère).
    • Favoriser l’économie locale : installation d’une épicerie associative, relance d’ateliers d’artisans et de résidences d’artistes.
    • Respecter l’environnement : récupération d’eau, bâtiments à faible empreinte énergétique.
  2. Chantiers participatifs et sociaux : Dès 2017, d’importants chantiers de jeunes, intégrant notamment des publics éloignés de l’emploi, participent à la réhabilitation. Entre 2018 et 2023, 16 logements sont effectivement restaurés, dont 5 attribués à des familles modestes (Département de l'Hérault).
  3. Processus démocratique : Le modèle retenu s’appuie sur de véritables consultations : réunions publiques (2014, 2015), appels à projets pour l’attribution des logements, charte de vie commune acceptée par les nouveaux habitants.

Celles aujourd’hui : vie, transmission et nouveaux horizons

Fin 2023, six familles vivent désormais à l’année à Celles. L’école a rouvert temporairement pour une dizaine d’enfants venus de la commune et des alentours. Une micro-boutique locale propose produits artisanaux, vins et fruits du Salagou. Les chiffres restent modestes, mais ils traduisent une dynamique réelle :

  • Plus de 50 000 visiteurs annuels se pressent à Celles (source : Office de tourisme Coeur d'Hérault 2023).
  • Trois ateliers d’artisanat installés sur la place centrale (potier, céramiste, photographe).
  • Deux séjours d’artistes en résidence financés par la Région Occitanie depuis 2021.

Le rôle des collectivités et des financements publics

Le soutien du Département de l’Hérault et de la Région Occitanie s’avère crucial. Parmi les initiatives clés :

  • Subventions directes pour la rénovation des réseaux et la voirie (près de 1,2 million d’euros investis depuis 2015, source : Conseil départemental 2023).
  • Soutien à la création d’une Maison du Grand Site, prévue pour 2024, destinée à accueillir les visiteurs, relayer les enjeux écologiques du Salagou et valoriser l’histoire de Celles.
  • Partenariats avec le Parc naturel régional du Haut-Languedoc pour les actions de médiation environnementale.

Ces apports publics n’excluent pas l’engagement des entreprises locales, appelées à participer à des chantiers de restauration ou à l’aménagement des espaces extérieurs.

Innovations, sobriété et défis pour demain

Ce qui fait aujourd’hui de Celles une expérience unique, c’est l’articulation entre mémoire et innovation :

  • Le choix d’une croissance maîtrisée : n’autoriser ni multiplication anarchique des logements, ni installation commerciale massive pour préserver la quiétude du site.
  • Les logements à haute qualité environnementale : rénovation avec matériaux locaux, toitures végétalisées, usage prioritaire de l’énergie solaire (une micro-centrale photovoltaïque a été mise en service en 2021).
  • Transmission des savoir-faire : organisation d’ateliers « mémoire » autour des métiers qui structuraient Celles (vigne, pêche, petit élevage) ; collecte et restitution des témoignages d’anciens habitants, avec création d’un fonds audio-visuel consultable à la Maison du Village.
  • Accueil des nouveaux villageois : intégration progressive, avec mentorat organisé par des membres plus anciens pour transmettre l’esprit et le respect des lieux.

De telles façons de faire ont inspiré d’autres projets dans la région, comme à Mourèze ou autour du lac de Laouzas. Celles incarne ainsi une façon résolument moderne de sauver l’ancien, sans le dénaturer.

Le souffle de Celles : mémoire partagée, futurs à inventer

Si Celles est aujourd’hui à la croisée des chemins, c’est bien grâce à la conjonction de forces locales, d’associations, d’habitants nouveaux et anciens, et d’élus responsables. Le village incarne la possibilité d’un renouveau rural sensible : une communauté qui prend racine dans son passé, mais qui regarde loin devant. À ceux qui arpentent ses sentiers, le Salagou offre un témoignage simple : une pierre se relève, un toit rouvre, une vie s’invente. Celles pourra-t-il un jour retrouver le foisonnement d’un village « vivant » ? L’histoire, elle, continue de s’écrire, au fil des ans et des rencontres, Entre Celles et Salagou.

Sources principales : Midi Libre, France 3 Occitanie, DRAC Occitanie, Département de l’Hérault, Office de tourisme Coeur d'Hérault, entretiens croisés avec les associations locales.

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