09/10/2025
Celles, lové sur la rive nord du lac du Salagou, porte une histoire singulière en Languedoc. Ce village, vidé de ses habitants lors de la mise en eau du barrage en 1969, a traversé des décennies de silence avant de connaître un renouveau progressif depuis le tout début des années 2000. Entre ruines et résilience, le passé de Celles vit toujours dans la mémoire de ses anciens habitants et de leurs descendants. Cette transmission, loin d’être figée, se réinvente sans cesse grâce à un ensemble d’initiatives locales, de collectes et d’engagements individuels.
Parmi les outils les plus précieux pour préserver l’histoire de Celles, la collecte de témoignages occupe une place centrale. Depuis les années 2010, plusieurs associations locales et chercheurs universitaires se sont attachés à recueillir la mémoire des familles ayant vécu à Celles. Initiée dès 2004 par l’Association pour la Mémoire de Celles, cette démarche a permis d’enregistrer plus de 70 heures d’entretiens, mettant en lumière le quotidien du village avant son évacuation, ainsi que les ressentis lors de ce bouleversement.
Le témoignage oral reste un outil d’autant plus précieux que beaucoup des derniers “nés d’avant-lac” atteignent aujourd’hui 80 ou 90 ans. Leur parole partage la saveur du vécu, résistant à l’oubli.
Celles a vu son iconographie évoluer de la photo familiale au véritable fonds d’archives publiques. Une grande campagne de numérisation a débuté en 2016 : cartes postales anciennes, clichés de classes uniques en noir et blanc, images du village avant la montée des eaux, mais aussi correspondances et journaux intimes sont aujourd’hui en partie consultables en ligne sur les sites des Archives Départementales de l’Hérault et de la Maison du Grand Site du Salagou.
Les écrits privés, rarement mis au jour, nourrissent désormais la connaissance du quotidien rural : recettes médiévales, plans cadastraux annotés, ou encore lettres échangées pendant la période d’exode du village, offrent un regard inédit sur la vie d’alors.
À Celles, le bâti raconte autant que les mots. Certaines maisons sont encore aujourd’hui nommées par le nom de leur dernier occupant avant la mise en eau : “chez Marguerite”, “chez les Vidal”, “la maison du sabotier”. Ce langage populaire préserve le souvenir direct des lignées villageoises.
La conservation de ces traces visibles va de pair avec la restauration de certains espaces publics : l’église Saint-Étienne, ré-ouverte lors de la fête du village, sert de lieu de mémoire collectif durant la saison estivale avec des expositions temporaires sur l’histoire locale.
Les événements collectifs sont essentiels pour que la mémoire de Celles ne soit pas réduite à un simple hommage figé. Chaque année, en juillet, la fête de Saint-Étienne rassemble anciens, descendants, nouveaux arrivants et curieux autour d’une messe, d’un repas champêtre et d’un bal populaire sur la place du village. Les souvenirs du passé sont racontés à voix haute, souvent ponctués de chansons en occitan ou de danses traditionnelles.
D’autres rendez-vous sont venus s’ajouter, comme les journées du Patrimoine où la mémoire orale et l’histoire du village sont partagées lors de visites guidées théâtralisées, nourries des anecdotes familiales.
De nombreuses initiatives artistiques contribuent à faire vivre et connaître la mémoire de Celles au-delà de ses murs. Le projet photographique “Celles, fragments de mémoire”, porté par la photographe Eléonore Garosi entre 2016 et 2018, a saisi les visages des anciens habitants devant les ruines de leurs maisons, exposant ces portraits à ciel ouvert dans les rues du village. L’installation, reprise par France 3 Occitanie (francetvinfo.fr), a rencontré un fort écho et suscité de nombreux échanges intergénérationnels.
Cette démarche artistique reconnecte les habitants à leur passé, mais permet aussi d’élargir la portée du message, auprès d’un public souvent extérieur à la commune.
La transmission de la mémoire de Celles se construit aussi dans le dialogue avec les jeunes générations. Divers projets pédagogiques sont menés en partenariat avec l’école primaire de Clermont-l’Hérault et le collège Paul Dardé à Lodève, axés sur l’histoire du village et l’évolution du territoire du Salagou.
La commune, accompagnée par la Communauté de Communes du Clermontais, multiplie également les interventions au sein des écoles alentours, afin que la résilience et la singularité de Celles ne soient jamais réduites à un simple “village fantôme”.
Le processus de revivification de Celles, amorcé depuis 2018 via les projets de relance de la vie communale, s’accompagne depuis quelques années de l’arrivée de nouveaux habitants. Ces derniers s’inscrivent dans cet élan mémoriel, en accueillant la parole des anciens, en participant aux festivités et parfois en lançant leurs propres recherches sur l’histoire du lieu.
L’avenir de la mémoire de Celles se dessine ainsi à plusieurs voix et par petites touches : une mosaïque où chaque nouvel habitant peut devenir à son tour passeur d’histoire.
Préserver la mémoire des anciens habitants de Celles, c’est bien plus qu’un travail patrimonial : c’est donner au village une identité cohérente au fil du temps, bâtir un récit commun entre les générations, les natifs et “ceux d’ailleurs”. Les initiatives de collecte, d’archivage, les fêtes et les projets artistiques tissent ce lien vivant, toujours renouvelé, entre racines et avenir.
Le pari réussi de Celles prouve que la résilience d’un village ne s’arrête pas à la sauvegarde du bâti ou à l’accueil de nouveaux habitants, mais tient surtout à la transmission de la mémoire partagée. Des voix ténues, une photo fanée, un chant occitan ou une recette écrite sur un carnet usé peuvent faire revivre tout un pan de l’Hérault, et inspirer, qui sait, d’autres villages menacés d’oubli.
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