Légendes, mystères et récits : l’âme secrète de Celles et du Salagou

14/09/2025

L’imaginaire et la mémoire vivante d’un territoire

Le lac du Salagou et le village de Celles intriguent, fascinent, attisent la curiosité de tous ceux qui croisent leurs chemins. Si l’on parle souvent de leurs paysages sculptés par la nature et l’homme, il existe, circulant entre pierres rouges et garrigues, tout un monde d’histoires, de légendes et de récits transmis de génération en génération. Certains relatent des faits avérés, d’autres relèvent de la pure tradition orale, parfois à mi-chemin entre le réel et le merveilleux.

Explorer ces récits, c’est remonter le fil du temps, accéder à une autre dimension du Salagou : celle des souvenirs, des miracles supposés, ou des simples anecdotes qui forgent l’identité de ce coin d’Hérault. Voici un cheminement au gré des voix locales et des témoignages, des archives, des livres d’histoire et du folklore.

Celles, le village ressuscité : de l’exil forcé au mythe de la renaissance

Le premier grand récit associé à Celles est profondément ancré dans son histoire contemporaine. Initialement, le village fut « sacrifié » durant les années 1960 lors de la création du barrage du Salagou. Destiné à être englouti par la montée des eaux, il dut être évacué en 1964. Pourtant, contre toute attente, le niveau définitif du lac s’établit à quelques mètres en dessous, laissant les maisons de Celles intactes, mais désertées, abandonnées à la ruine et aux souvenirs.

  • Un village fantôme : Devenant un lieu quasi fantomatique, Celles a longtemps alimenté l’imagination, titre de reportages et source d’anecdotes. Le silence qui y régnait, les volets clos et la végétation envahissante ont inspiré de nombreuses histoires de revenants, d’âmes errantes et de vie parallèle.
  • Légende urbaine : les "portes qui claquent la nuit" : Plusieurs randonneurs et campeurs affirment avoir entendu, au cœur de la nuit, des portes claquer, des voix dans l’obscurité, des bribes de musiques oubliées… Certains attribuent ces phénomènes au vent particulier du Salagou, d’autres à la mémoire collective persistante des habitants contraints de quitter leur village. (Source : témoignages compilés lors des Journées du Patrimoine, 2017)

Depuis le début des années 2000, Celles fait le pari de la renaissance. La légende d’un village condamné, mais debout, traverse désormais les articles de presse ("Celles, le village qui refuse de mourir", France 3 Occitanie, 2021) et alimente un nouvel imaginaire : celui de la résilience et du retour possible.

A l’origine du Salagou : légende d’un géant et mystères géologiques

Le Salagou, ce "lac rouge", fascine par son apparence irréelle. La géologie spectaculaire du site – avec ses ruffes, ces argiles rouges couvrant plus de 250 millions d’années d’histoire – ne pouvait que donner naissance à des mythes d’explication populaires.

  • La légende du géant Salago : Selon un conte local (recueilli dans "Contes de l’Hérault", éditions Loubatières), la vallée aurait été modelée par un géant nommé Salago ou "lo Salegós". Solitaire, il aurait creusé le lit de la rivière avec ses mains pour y faire couler ses pleurs, transformant la terre en ce paysage rougeoyant et ondulé. La ruffe serait le souvenir de sa tristesse, et le lac, le miroir de ses regrets.
  • Les pierres qui bougent : Plusieurs habitants évoquent, notamment près de la chapelle Saint-Frédéric, des roches qui auraient roulé toutes seules au petit matin, témoignant, selon eux, de la présence de forces invisibles.

Légendes d’eaux et de miracles : sources, chapelles, processions

Le Salagou n’est pas qu’un lac ; autour, de petites sources, des rivières souterraines et une ancienne chapelle perpétuent la mémoire de miracles supposés et de croyances populaires.

La source du Cros et ses vertus protectrices

Près du hameau du Cros, une source limpide attire encore les promeneurs. Selon une ancienne tradition, l’eau y posséderait des vertus protectrices : elle devait être bue ou versée sur le front des enfants pour les prémunir des fièvres, parfois même lors de processions organisées le premier dimanche de mai. Cette pratique, attestée jusque dans les années 1950, est l’écho d’un fond de croyances païennes, avant que la christianisation ne vienne y apposer ses rites (cf. "Traditions populaires du Languedoc", J. Campardou).

La chapelle Saint-Frédéric et les rogations

  • Un reflet religieux : Dressée au-dessus du lac, la petite chapelle Saint-Frédéric fut jadis un centre de pèlerinage pour demander la pluie ou la protection contre la sécheresse lorsque la terre rouge refusait les semences.
  • La légende des cloches disparues : On raconte qu’en période de grandes crues ou de menaces, les cloches de la chapelle furent cachées "dans la colline", pour qu’elles ne tombent pas aux mains des envahisseurs. Selon les anciens, il arriverait de les entendre tinter dans le vent, la veille de certains orages. Ce mythe est typique des légendes du Sud où les objets sacrés parlent ou se manifestent lorsque la communauté est en péril.

Ce panthéon populaire rejoint un imaginaire régional plus large : partout dans le Languedoc, sources et chapelles sont le cadre de récits liés à la protection, à la guérison ou à la quête d’un signe.

Histoires de bandits, de contrebandiers et de passages secrets

La terre du Salagou, avec ses chemins escarpés et ses collines boisées, fut longtemps un territoire propice aux passages clandestins. Plusieurs récits évoquent, du Moyen Âge jusqu’au début du XX siècle, la présence de bandits ou de contrebandiers, profitant de la rudesse du relief pour échapper aux autorités.

  • Le “Sentier des voleurs” : Dans la zone au nord de Celles, certaines cartes anciennes (Archives Départementales de l’Hérault, XIX) mentionnent un vieux chemin surnommé "sentier des voleurs" (“camí dels larrons”). Les habitants racontent que des voyageurs s’y faisaient détrousser ou qu’on y échangeait tabac et marchandises pendant la guerre.
  • La grotte du Fesquet : Non loin de là, une grotte aurait servi de cache à plusieurs reprises. Un article paru dans Midi Libre en 1986 rapporte la découverte de restes d’anciennes outres, probablement utilisées par des contrebandiers au XIX siècle.

Ces récits rappellent combien, derrière la beauté tranquille du Salagou, se cachent des histoires mouvementées, faites de survie, de passage et de secrets.

Faune mystérieuse et curiosités naturelles : bestiaire du Salagou

L’environnement particulier du lac génère aussi son lot de croyances animales : hérons, batraciens épiques, serpents “magiques”… témoignent d’un dialogue entre l’homme et la nature, typique des sociétés rurales.

  • Le serpent avaleur de veaux : Jusqu’aux années 1970, des bergers prêtèrent au Salagou une étrange réputation : celle d’abriter sous ses ruffes rouges des serpents géants capables d’avaler un veau entier. S’il ne s’agissait probablement que de couleuvres ou de vipères, l’absence de prédation avérée a laissé perdurer cette rumeur pendant des décennies.
  • L’épouvantail aux grenouilles : Des pêcheurs des villages alentours racontaient que certaines nuits, le croassement des grenouilles montait “comme un chant humain”, s’arrêtant brusquement à minuit comme si quelqu’un ordonnait silence. Une fois encore, le mystère du Salagou n’est peut-être que le spectacle naturel de ses écosystèmes riches et variés, mais il aura alimenté maintes veillées !

Les fêtes et traditions inventées : histoire en mouvement

D'autres récits naissent aujourd’hui, fruit de l’envie de perpétuer un lien vivant avec le passé. Le festival "Celles sur Art", par exemple, met en scène la mémoire du village à travers des balades contées, mêlant anecdotes réelles et créations collectives. Ainsi, la frontière entre légende, récit et histoire s’estompe, donnant lieu à un patrimoine vivant en perpétuelle évolution.

  • Processions et balades contées : Ces manifestations, guidées par des habitants ou des conteurs professionnels, rappellent chaque année combien la saveur du lieu s’enracine dans la parole partagée : chaque recoin peut devenir théâtre d’un miracle, d’une farce, ou d’un souvenir d’enfance.
  • Objets insolites : Lors des travaux de restauration, il n’est pas rare de découvrir dans les maisons ou greniers du village des objets insolites, portés par l’histoire : des bocaux scellés, des statuettes protectrices, parfois de simples bijoux d’espérance, soigneusement répertoriés par l’association "Les Amis de Celles".

Mémoire vive et transmission, entre passé et avenir

Les récits et légendes du Salagou et de Celles sont bien plus qu’une jolie toile de fond : ils sont la traduction sensible d’une relation intime entre les habitants et leur territoire. Entre l’histoire officielle, les secrets de famille, les peurs anciennes et l’imagination populaire, chaque génération contribue à tisser de nouveaux récits, à enrichir ce patrimoine.

Le Salagou reste un paysage ouvert à tous les songes et à toutes les histoires. En marchant sous le vent des collines rouges ou en longeant les rues de Celles, chacun peut à sa manière écouter la mémoire du pays, et, peut-être, entendre une légende à naître.

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