Celles et le Salagou : héritages vivants et traditions à l’épreuve du temps

03/09/2025

Un village suspendu sur les rives rouges : petite histoire de Celles

Cerné par les flamboyances du lac du Salagou et écrasé de soleil neuf mois sur douze, le village de Celles se détache comme une énigme au cœur de l’Hérault. Son destin singulier — celui d’un village "mort-vivant", entièrement vidé puis partiellement réhabilité — teinte la vie locale d’une force de résilience unique.

Les eaux retenues dans les années 1960 pour former le lac ont condamné à la disparition la plupart des bourgs alentour. Mais à Celles, bien que l’ordre d’évacuation fût imposé en 1962 et que les ruines aient presque cédé à l’abandon, la montée du lac n’a finalement jamais englouti le cœur du village. Les maisons, souvent murées, sont restées debout, fantomatiques. Le bourg est ainsi devenu, pour toute une génération, le symbole d’une mémoire collectivement préservée contre l’oubli.

Depuis le début des années 2000, la réhabilitation s’opère doucement, menée par une poignée de résidents et d’élus décidés à faire revivre un patrimoine rare. Selon l’INSEE, moins de 40 habitants vivent actuellement à Celles à l’année (chiffres 2021), mais l’attachement collectif dépasse largement la démographie.

Cette histoire particulière a façonné la culture locale, donnant du sens à chaque geste, chaque fête et chaque initiative citoyenne.

Rites, fêtes et temps forts : traditions vivantes au bord de l’eau

La vie à Celles s’articule autour du lac et du calendrier agricole, mais aussi des nouveaux temps forts institués depuis la renaissance du village.

  • La fête de Saint-Barthélemy : Ce rendez-vous traditionnel, célébré fin août, est l’occasion de rassembler les habitants historiques, les nouveaux venus et les familles liées à Celles par la mémoire. Messe, procession autour de l’église Saint-Pierre (datant du XIIᵉ siècle), apéritif partagé, jeux pour enfants et concerts rythment la journée. L’accent est mis sur la transmission d’un esprit villageois, dans une ambiance chaleureuse marquée par l’hospitalité languedocienne.
  • Les Rencontres de Celles : Depuis le retour des habitants, plusieurs éditions de ce rendez-vous culturel ont permis d’explorer le patrimoine sous de nouveaux angles : expositions de photos anciennes, projections de documentaires réalisés par les écoles du territoire et balades commentées. Ce genre d’événement, souvent organisé avec le concours de l’Association de Sauvegarde et de Rénovation du Village de Celles (ASRVC), favorise le dialogue intergénérationnel et la valorisation des savoirs locaux.
  • Le marché hebdomadaire d’été : Relancé depuis quelques années sur la petite place centrale, il symbolise le retour de la vie à Celles, attirant artisans, apiculteurs, maraîchers du Salagou, mais aussi artistes et producteurs de miel ou d’olives. Les visiteurs y découvrent fromages de chèvre du Larzac, vin du Languedoc, confitures de figues et spécialités locales comme le pain à la châtaigne.

Ces rendez-vous, loin de n’être que de simples festivités, sont des espaces de transmission, où se tissent des récits autour de la résistance à l’exil et du rapport à la terre.

Patrimoine matériel : pierres, art sacré et architecture rurale

Au fil des ruelles encore cabossées de silence, les murs de schiste et d’ocres racontent un passé bâti sur le travail collectif et la solidarité paysanne.

  • L’église Saint-Pierre : Véritable matrice du village, classée monument historique depuis 1923 (source : Ministère de la Culture), elle s’impose par son abside romane et sa nef sobre, désertée puis récemment restaurée. Elle accueille tous les étés des expositions ou des concerts intimistes, prolongeant la vocation culturelle du lieu.
  • La mairie-école : Bâtiment typique de fin XIXᵉ siècle, ce symbole républicain a conservé son fronton d’origine. La cour d’école, transformée en espace de rencontres lors des événements estivaux, rappelle la centralité de la transmission à Celles.
  • Les fontaines et lavoirs : Points névralgiques de la vie villageoise jusqu’aux années 1950, ils sont progressivement remis en valeur depuis 2017. La tradition orale évoque les veillées où l’on lavait le linge tout en se racontant la grande histoire du village ou la montée des eaux du lac.

À cela s’ajoutent plusieurs remises agricoles, des caves voûtées et les anciens "mas" isolés autour du village, témoins d’un mode de vie séculaire. Le village conserve également quelques traces d’architecture de type basaltique, fruit de la géologie volcanique du Salagou.

Savoir-faire et usages ruraux : entre mémoire et renaissance

La culture de Celles s’enracine dans une tradition de polyculture vivrière typique de la vallée du Salagou. L’olivier, l’amandier, la vigne et le blé composaient le paysage jusque dans les années 1960. Aujourd’hui, plusieurs initiatives visent à réintroduire ces pratiques :

  • Cultures en terrasses : Sur les collines alentour, des habitants relancent la culture de l’olivier, marginalisée après l’évacuation. À la manière des anciens, ils entretiennent murs de pierres sèches et canaux d’irrigation à petites eaux.
  • Valorisation de la biodiversité : Le site du Salagou étant classé Natura 2000, de nombreuses sorties sont organisées chaque année pour observer la flore endémique (lavande des garrigues, thym, euphorbes) ou écouter le brame du cerf à l’automne.
  • Vin et gastronomie : Certains domaines du territoire sont de nouveau exploités en agriculture biologique, proposant des vins de cépages autochtones comme le carignan ou la syrah. L’identité culinaire se retrouve aussi dans des spécialités telles que la brandade de morue ou les oreillettes, préparées lors des fêtes (source : Office de Tourisme du Clermontais).

Au-delà de l’agriculture, l’entre-aide et le troc subsistent, véhiculés par les marchés, les bourses aux plantes et les réparations collectives. Une forme de solidarité renaît, incitant à redécouvrir les gestes simples et essentiels.

Culture orale, légendes et transmission : l’âme de Celles

Celles conserve un vaste répertoire de récits, mémoire vivante du village.

  • La légende de la “Fada de Salagou” : Conte populaire transmis par les anciens, il raconte l’histoire d’une fée protectrice du lac qui apparaît lors des grandes sécheresses pour défendre la terre contre les appétits démesurés. Cette fable, largement racontée durant les longues soirées de juillet, est souvent agrémentée de nouvelles variantes selon la génération qui la transmet.
  • Les chansons languedociennes : Lors des fêtes, il est courant d’entendre les airs traditionnels du pays d’Oc repris en cœur. Parmi les plus connus, “Se Canta” revient régulièrement égayer les tablées ou accompagner la montée à l’église.
  • Le parler occitant : Bien que la langue d’oc ne soit plus pratiquée couramment depuis les années 1980, des ateliers de transmission sont organisés pour initier petits et grands. Lors d’ateliers “Parlaren d’aqui” portés par l’ASRVC, les mots-phares à retenir sont toujours liés à la nature : “rasims” (raisins), “olivièrs” (oliviers), ou “garriga” (garrigue).

Ces éléments témoignent d’une culture oratoire fragile, mais préservée grâce à la volonté des habitants et des associations locales.

Entre désert amoureux et nouvel élan: Celles, un laboratoire rural en mutation

Le village de Celles est aujourd’hui emblématique de la vitalité retrouvée des “villages ressuscités” en France. L’expérience de retour à la vie, visible à travers la repopulation progressive (neuf nouveaux projets de rénovation de maisons sont enregistrés depuis 2020, d’après la mairie), inspire d’autres bourgs de la région Occitanie.

Les enjeux actuels — conjuguer tourisme, sauvegarde du patrimoine et développement durable — poussent à innover. Projets de jardins partagés, festivals itinérants (dont la “Petite Épopée du Salagou” en septembre), ateliers d’écriture et visites naturalistes s’entrecroisent désormais à la palette des traditions séculaires.

Celles n’est ni tout à fait un écomusée ni un village-musée. Il s’y joue toujours l’alchimie fragile d’un territoire attaché à ses racines, mais bien décidé à faire vivre la création, l’ouverture et la rencontre. Une singularité qu’il est urgent de découvrir, patiemment, au gré des marchés, des sentiers ou des fêtes à venir.

Sources : INSEE, ASRVC, Ministère de la Culture, Office de Tourisme du Clermontais, presse locale ("Midi Libre")

En savoir plus à ce sujet :