Celles : mémoire vivante des traditions rurales de l’Hérault

10/09/2025

À l’origine : un village façonné par le terroir

Celles, village anciennement déserté à la création du lac du Salagou, était typique de ces communautés rurales de l’Hérault où les traditions n’étaient pas un décor, mais un fil d’Ariane entre générations. Son existence même résulte de la complémentarité entre le relief accidenté, la ruffe, la garrigue toute proche, et la fertilité du Lergue – tous ont imposé des choix de culture, de bâtisse et de mobilité.

Jusqu’aux années 1960, la population, qui ne dépassait jamais une centaine d’âmes, vivait presque entièrement des activités agricoles (Département de l’Hérault).

  • Céréales : Orge, blé, seigle occupaient les rares surfaces planes.
  • Vigne : Présente dès le XIX siècle, elle devint essentielle avec la grande vague de plantation dans tout le Languedoc après la crise du phylloxéra.
  • Élevage : Moutons, chèvres, porcs, volailles complétaient l’autosuffisance alimentaire.
  • Oliviers : Leur présence séculaire est attestée, même si l’oléiculture restait modeste comparée à d’autres villages du Lodévois.

Le rythme de l’année rurale : festivals, foires et processions

La vie rurale à Celles était rythmée par un ensemble de célébrations, directement héritées des coutumes agricoles et de la religiosité populaire du Bas-Languedoc. Au fil du calendrier, certains rendez-vous structurent la vie collective.

Fêtes patronales et tradition des brandons

  • Saint-Jacques : La fête dédiée au saint patron du village (le 25 juillet) donnait lieu à une procession suivie d’une repas partagé, accompagné souvent de danses traditionnelles comme la bourrée ou la farandole.
  • Les feux de la Saint-Jean : Un événement attendu : on allumait de grands feux sur la place du village, rituel de purification et de renouveau récolté dans les mémoires régionales (Occitanica).

Carnavals et rites agricoles

  • À l’approche de Mardi Gras, les familles préparaient des oreillettes et des bunyettes, beignets aux recettes jalousement gardées.
  • La benediction des récoltes et le passage du maître d’école chez chaque foyer scandaient la sortie de l’hiver et le début des grands travaux.

Savoir-faire ancestraux : métiers, outils et transmission

À Celles, les gestes d’autrefois se transmettaient d’adultes à enfants, dans une économie où chacun devait maîtriser plusieurs savoir-faire. L’artisanat rural était aussi varié qu’ingénieux.

  • Coopération viticole :
    • Après la Première Guerre mondiale, l’organisation en coopérative (modèle très répandu en Hérault dès 1905) a permis de moderniser la vinification tout en maintenant des pratiques collectives, comme la “remue” où tout le village se relayait lors des vendanges (CIVL).
  • Remèdes naturels :
    • Chaque foyer entretenait un jardin d’une dizaine d’espèces médicinales (thym, lavande, sarriette, romarin). Les recettes de tisanes et de baumes se transmettaient oralement, contribuant à une véritable pharmacie familiale.
  • Matériel et constructions :
    • Le cabanon de vigne, constituée de pierres sèches, servait de refuge aux outils et abritait du mistral.
    • La toiture en lauzes, méthode typique du haut Hérault, offrait une isolation précieuse contre les étés brûlants.
  • Métiers complémentaires :
    • Certains habitants étaient maréchal-ferrant ou charpentier, permettant au village de conserver une précieuse autonomie.

L’entraide et la force du collectif

Dans un village isolé, l’entraide n’était pas un principe abstrait mais une nécessité vitale. Les pratiques de solidarité prenaient formes concrètes, autour de la “consulade” (corvée partagée), des travaux agricoles, ou encore de l’accueil des voyageurs.

  • Les moissons : Les céréales du causse devaient être cueillies rapidement ; familles et voisins œuvraient ensemble, répartissant les efforts.
  • L’abattage du cochon : Véritable fête sociale de l’hiver (souvent en janvier), elle mobilisait de 10 à 15 personnes et mettait en commun salaisons, recettes de boudins et stock de conserves.
  • Veillées : À la nuit tombée, on se retrouvait au coin du feu. Contes occitans, récits de loups ou chants comme la “Montjoie” offraient des moments forts pour transmettre histoires et morale locale.

Langue et identité : l’occitan comme ciment culturel

L’occitan n’était pas seulement la langue maternelle de Celles : c’était la langue du terroir, du chant et des échanges. Cette pratique du “patois”, assumée jusque dans les années 1960, permettait de préserver une mémoire orale forte. Les dictons météorologiques, particulièrement : “Rozejada matinenca, plueja sèt jorns dins la setmana” (rosée du matin, pluie pour sept jours), ponctuaient le temps.

L’école laïque, installée en 1910, a bien contribué à la francisation, mais nombre d’enseignants eux-mêmes parlaient occitan avec les familles, assurant une forme de bilinguisme rural naturel. Aujourd’hui, des initiatives comme le Centre de l’Araire œuvrent à replacer les langues régionales au cœur des patrimoines locaux.

Gastronomie rurale : un héritage goûté à chaque saison

À Celles, le calendrier gastronomique était réglé sur celui des saisons et des fêtes. Certains mets, autrefois quotidiens, sont aujourd’hui des trésors culinaires recherchés.

  • Pain de campagne : Chaque famille possédait sa recette. Les fournées étaient collectives, dans l’ancien four banal du village (on trouve encore des vestiges sur place).
  • Fromages frais : Le lait de chèvre et de brebis donnait des tommes douces. Les “pélardons” locaux, petites boules à croûte fleurie, étaient très prisés.
  • Soupe de favouilles : À base de fèves séchées, ce plat était partagé lors de la veillée de Noël.
  • Caillette, olive lucques, oreillettes : Autant de saveurs qui relient Celles au vaste répertoire culinaire du Languedoc.

Une anecdote tirée du Musée du Languedoc évoque ces grandes tablées où, lors de la Saint-Jacques, chaque foyer apportait un gibier ou un plat mijoté : on y dégustait jusqu’à 14 variantes de brandade ou de garbure.

Renaissance et valorisation des savoirs anciens

La création du lac du Salagou eut un effet brutal : en 1969, Celles, évacué, fut le symbole d’une ruralité suspendue. Pourtant, depuis le début des années 2010, une volonté de réinvestir la mémoire est perceptible.

  • Des associations locales (dont Celles sur l’Eau) organisent des ateliers de transmission :
    • Réapprendre le montage des murs en pierre sèche.
    • Découverte des chants occitans avec les habitants d’Octon et Mourèze.
    • Balades botaniques autour du lac pour renouer avec la cueillette sauvage d’antan.
  • Projets agricoles : Replantation d’oliviers et revalorisation de vignes anciennes, pour réintroduire des cépages oubliés comme le terret noir et le piquepoul blanc (source : Chambre d’Agriculture de l’Hérault).
  • Patrimoine bâti : Restauration des calades du village, redécouverte des fours collectifs et réhabilitation des anciens lavoirs, qui furent le cœur de la sociabilité féminine autrefois.

Perspectives : traditions et vie contemporaine

Préserver la mémoire rurale, ce n’est pas s’enfermer dans le folklore, mais permettre à chaque visiteur, promeneur ou nouvel habitant de sentir la qualité unique des liens humains et du rapport à la nature. À Celles comme ailleurs dans l’Hérault, les villages témoignent d’une inventivité et d’une résilience qui trouvent aujourd’hui, dans l’écotourisme ou les fêtes revivifiées, une nouvelle vitalité.

Pour ceux qui arpentent aujourd’hui les ruelles de Celles ressuscitée, sentir ces traces dans la pierre, goûter les recettes transmises, écouter quelques paroles d’occitan sur la place, c’est toucher du doigt la réalité vivante d’une tradition rurale jamais vraiment oubliée.

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