Le fil vivant des artisans : transmission des savoir-faire autour de Celles et du Salagou

29/09/2025

Un terroir marqué par la main de l’Homme : panorama des traditions artisanales

Dans l’ombre des montagnes rouges du Salagou et sur les bords du village de Celles, les traditions artisanales vivent encore à hauteur d’homme. Ce territoire, où les éléments sculptent la terre, a vu naître au fil des siècles une diversité de métiers manuels : poterie, vannerie, travail du cuir, ferronnerie, pastel et laine, apiculture, et savoir-faire gourmands. Selon la Chambre de Métiers de l’Hérault, plus de 500 artisans sont référencés dans la zone Cœur d’Hérault, dont plusieurs vivent et créent aux alentours du lac du Salagou (CCI Hérault).

La transmission des savoirs est ici un fil tendu entre passé et présent. Synonyme de continuité mais aussi d’innovation, elle s’incarne tout autant dans les familles que chez les nouveaux arrivants désireux de s’enraciner et de participer à la vitalité du territoire.

La poterie et la terre rouge : héritage et modernité

Impossible d’évoquer l’artisanat du Salagou sans parler de la terre. Dans la région, l’argile rouge — la ruffe — façonne depuis l’époque gallo-romaine la vie et l’économie (source : université Paul-Valéry Montpellier). Les vestiges trouvés près de Villeneuvette et autour de Liausson témoignent d’une tradition de céramique utilitaire et artistique.

  • L’atelier de poterie de Celles attire aujourd’hui petits et grands autour du tour, lors d’ateliers organisés en été, animés par des potiers installés dans la région.
  • La transmission se fait principalement par l’apprentissage direct, lors de résidences ou de stages intergénérationnels, ouverts aussi bien aux scolaires qu’aux visiteurs saisonniers.

Parmi les gestes perpétués figurent le façonnage manuel, l’émaillage avec les pigments naturels, et la cuisson au four à bois. Des potières, venues autrefois de Saint-Jean-de-Fos (connu pour sa “poterie vernissée”), partagent encore régulièrement leur savoir lors de démonstrations.

Au XXe siècle, le déclin des potiers traditionnels semblait inéluctable avec l’essor de l’industrie. Pourtant, depuis une vingtaine d’années, cet art connaît un regain : des jeunes diplômés originaires de l’Hérault reviennent pour s’installer et créer des pièces mêlant tradition et design contemporain (Sud Craft).

La vannerie, ce tressage qui relie générations et paysages

Dans le secteur de Celles, le saule, la canne de Provence et le jonc composent un écosystème végétal propice à la vannerie. Jusqu’aux années 1970, la fabrication de paniers, coffres et objets du quotidien fournissait un complément de revenu aux paysans, mais aussi de quoi équiper la maison.

Aujourd’hui, plusieurs associations proposent des stages saisonniers :

  • Le Collectif des vanniers du Salagou organise chaque printemps une “journée portes ouvertes” où l’on apprend, de main en main, à préparer l’osier, à comprendre les gestes et à échanger anecdotes et techniques.
  • Les écoles autour de Clermont-l’Hérault et Lodève font régulièrement appel à des artisans locaux intervant en classe pour faire découvrir l’histoire du tressage et sensibiliser les plus jeunes à la préservation des milieux naturels.

Une enquête menée en 2017 par la Communauté de Communes du Clermontais révèle que, pour 7 artisans sur 10, la transmission s’opère d’abord de façon informelle : lors d’événements festifs ou à travers la famille. Mais l’engagement des structures locales pour valoriser la vannerie s’accroît, avec la création de parcours découverte et de balades ethnobotaniques centrées sur les plantes utilisées (CC Clermontais).

D’un métier à l’autre : l’exemple des artisans du cuir et du fer

Si le métier de maréchal-ferrant a presque disparu, la tradition du cuir et du fer vit dans quelques ateliers nichés dans les vallons d’Octon, de Villeneuvette ou près de Mas Audran. Héritiers des savoir-faire qui accompagnaient la fabrication des outils agricoles, ces artisans perpétuent leur pratique en s’ouvrant à de nouvelles influences : fabrication de sandales, réparation de selles, création de couteaux ou de bijoux.

  • La transmission se fait souvent par compagnonnage, comme chez ce ferronnier d’art près de Mourèze, qui accueille chaque année stagiaires et jeunes en reconversion pour transmettre la maitrise de la forge.
  • Le secteur du cuir attire de plus en plus de jeunes adultes désireux de réapprendre à travailler une matière noble avec des outils traditionnels, tout en intégrant des designs actuels, notamment à travers la micro-entreprise.

Selon la Chambre de Métiers de l’Hérault, 15% des artisans du secteur créent aussi des ateliers pédagogiques pour sensibiliser au maniement des matières premières et à l’importance de l’économie locale.

Le patrimoine gourmand : apiculture, fromage et savoirs culinaires

Autour de Celles, le “bien-manger” et ses secrets se partagent encore dans les fermes et lors des marchés. On recense une quinzaine de producteurs directs dans les 15 km autour du Salagou, dont une majorité pratique la transmission familiale (données Mangeons-local.fr).

  • L’apiculture locale, héritée des traditions languedociennes, forme chaque année une nouvelle génération d’apprentis grâce à l’association “Abeilles et garrigues”. On y apprend à élever les reines, récolter le miel et préserver la biodiversité. Les ruchers partagés servent de terrain éducatif, accueillant des classes et des habitants lors des journées pédagogiques.
  • Le fromage de chèvre est également emblématique — plusieurs familles de Bouzigues et de Mérifons pratiquent l’affinage selon des méthodes transmises oralement. On y retrouve les gestes précis du moulage et de l’égouttage, le respect du “saisonnier”, et la solidarité : des anciens partagent leur connaissance des plantes sauvages pour agrémenter les fromages.
  • Le marché de Clermont-l’Hérault joue un rôle déterminant, servant d’espace de rencontres et d’échanges de recettes, tout comme la fête de la Châtaigne ou les férias rurales où se cuisinent la tielle, les fougasses ou les pâtés traditionnels. Les familles partagent leurs astuces, souvent en langue occitane, favorisant une transmission vivante qui lie génération et terroir.

La fête et le partage : rituels collectifs et mémoire vivante

La transmission artisanale n’est pas qu’affaire d’atelier : elle se nourrit de temps forts collectifs où chacun peut s’initier, observer et partager.

  • Les marchés de créateurs du Salagou, présents chaque été au bord du lac ou sur la place de Celles, rassemblent potiers, tisserandes, luthiers, bijoutiers, proposant ateliers participatifs pour petits et grands.
  • Lors des “Journées européennes des métiers d’art”, plusieurs artisans du secteur ouvrent leurs portes et proposent démonstrations, visites guidées et moments de parole sur leurs parcours (JEMA).
  • Des projets comme “Mémoires du Salagou” collectent témoignages, photos et gestes filmés des anciens, constituant une véritable banque vivante du patrimoine immatériel. Ces archives sont accessibles en mairie ou lors d’événements associatifs.

Cette dynamique s’accompagne d’initiatives scolaires et universitaires, comme l’atelier “mémoire des gestes” mené en partenariat avec le lycée agricole de Gignac, qui permet aux jeunes d’expérimenter tissage, travail du bois ou céramique.

Entre défis et espoirs : une transmission renouvelée

Malgré une vitalité évidente, la transmission des métiers artisanaux autour de Celles fait face à plusieurs défis :

  • Le vieillissement des détenteurs des savoirs : Selon l’Insee, l’âge moyen des artisans du secteur dépasse les 52 ans. Si la majorité souhaite transmettre, la difficulté réside parfois dans le manque de relève directe ou la précarité économique.
  • L’évolution des attentes : Les plus jeunes cherchent à allier tradition et innovation, introduisant l’écoconception et le circuit court dans leurs pratiques, et privilégiant la polyvalence plutôt que la pure répétition de gestes anciens. Cela crée de nouveaux modèles hybrides, entre micro-entreprise, ateliers collectifs et formation continue.
  • Le rôle du tourisme : Les initiatives touristiques favorisent la valorisation des métiers d’art, à condition qu’elles s’accompagnent de respect du rythme local et d’une médiation fidèle.

L’un des marqueurs de cette transmission vivante tient dans l’organisation d’ateliers et de stages d’initiation. En 2023, plus de 400 personnes — locaux comme visiteurs — ont participé à un atelier ou une visite artisanale dans la micro-région du Salagou (Cœur d’Hérault, rapport d’activité). Beaucoup repartent avec un objet, mais surtout, avec la conscience du temps, du geste et de la nature nécessaire à sa fabrication.

Une invitation à plonger dans la mémoire vivante

Autour de Celles, la transmission artisanale est bien plus qu’une affaire de “patrimoine” figé : elle demeure un art de vivre, une manière de tisser du lien entre les habitants, la terre et le temps. Chaque geste transmis, chaque atelier ouvert, chaque mot en occitan glissé entre deux générations fait battre discrètement le cœur du Salagou.

Pour celles et ceux qui en franchissent le seuil, le territoire du Salagou offre une opportunité rare : renouer avec le plaisir de faire de ses mains, d’apprendre à travers les autres et de porter, le temps d’une journée ou plus, le flambeau d’un art vivant.

Les curieux trouveront matière à s’inspirer : auprès des marchés, des ateliers collectifs de Celles ou lors des rencontres estivales, la transmission continue, créative et vibrante. C’est une invitation, simple et essentielle, à se relier — aujourd’hui comme hier — à ce que la main et le cœur savent perpétuer.

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